Évidemment le sujet des clauses abusives est très vaste, mais nous allons nous concentrer sur 2 exemples qui touchent le monde du graphisme et de la création.

Cas #1: la société de portage

Une société de portage, c'est une société qui vous permet de facturer lorsque vous n'avez pas de statut pour le faire légalement. Elle vous fourni un cadre légal pour exécuter des prestations et encaisser des honoraires, en échange d'une commission variant entre 8 et 10% environ (à cela vient s'ajouter les cotisations sociales d'environ 40%). C'est très pratique pour les graphistes, sauf quand le contrat est truffé de clauses abusives qui visent à vous déposséder de tous vos droits d'auteurs.

Voici des extraits du contrat d'une société de portage, pourtant "forte de 15 ans d'expérience et présente sur l'ensemble du territoire français", particulièrement gratinés (les mises en exergue sont de mon fait, et le nom à été modifié):

Transfert des droits de propriété intellectuelle : le Groupe *Confiture britannique* sera seul titulaire de l'intégralité des droits de propriété intellectuelle et du savoir-faire relatifs à toute création ou invention que vous aurez réalisée sous quelque forme que ce soit (y compris notamment dessins, plans, programmes informatiques, inventions techniques, documents de nature technique, commerciale ou autre) dans le cadre du présent contrat, que ce soit dans l'exécution de vos fonctions ou pour des travaux qui vous sont expressément confiés. Ces droits seront acquis automatiquement à la Société au fur et à mesure des créations ou inventions. En tant que de besoin, vous vous engagez à céder à la Société l'ensemble de vos droits de propriété intellectuelle portant sur lesdites créations. En conséquence, dans le cas où les créations seraient protégées par le droit d'auteur, la Société sera seule titulaire des droits de reproduction sur tout support, d'adaptation, de traduction et de représentation, quel que soit le procédé technique utilisé, pour le monde entier et pour la durée légale de protection des droits prévue tant par les législations françaises qu'étrangères et par les conventions internationales, y compris ses futures prolongations.

Bon ben là, pas la peine d'avoir fait une maitrise de droit pour comprendre que si vous signez ça en tant que graphiste vivant précisément des droits d'auteurs, vous vous faites détrousser comme au coin d'un bois de vos droits les plus élémentaires. Je préfère passer volontairement sur le désormais bien connu "a vie dans le monde entier et sur tous support", mais il est intéressant de voir comment cette société annexe carrément vos droits automatiquement, y compris sur des éléments dont vous possédez vous même les droits, ou que vous allez peut être créer. (pour mémoire en France, le droit d'auteur ne s'applique qu'au œuvres DÉJÀ créées, il est impossible de céder des droits sur des œuvres à venir)

La Société sera seule titulaire du droit de reproduction en autant d’exemplaire qu’il lui plaira, sur tous supports, et notamment, mais non limitativement sur tout support papier, électronique, numérique, magnétique ou autrement exploitable par l’informatique (et notamment disques, disquettes, bandes) quelle que soit la finalité de la reproduction (commerciale, gratuite, publicitaire ou autre). La Société sera également titulaire du droit de représentation sur les créations en tous lieux, publics ou non, et par tous moyens et procédés techniques, dans tous formats, et notamment mais non limitativement, par transmission hertzienne, câble, satellite, ou par tous autres réseaux de télécommunication ou de communication audiovisuelle et, plus généralement, par tout autre moyen de communication (le réseau Internet, le courrier électronique, etc.) quelle que soit la finalité de la représentation (commerciale, gratuite, publicitaire ou autre).

Bon ben là pareil, vous faites un logo ou un sites web, non seulement ils ont les droits dessus, mais en plus ils peuvent les reproduire à l'envi, et même les revendre, tant qu'à faire, autant pas se gêner !

La Société sera enfin titulaire des droits de traduction en toutes langues et tous langages informatiques ainsi que des droits d'adaptation, en ce compris le droit d'ajouter, retirer, combiner ou modifier tout élément par tout moyen ou procédé tels que les modes de télécommunication ou de communication audiovisuelle visés ci-dessus. Vous devrez communiquer à la Société l'intégralité des documents et travaux que vous aurez réalisés. Vous acceptez d'établir et de conserver des archives écrites adaptées et à jour de l'ensemble de vos créations ou inventions (réalisées seul ou en commun avec d'autres salariés) pendant la durée de votre contrat de travail avec la Société sous une forme qui vous sera indiquée par la Société. Les archives prendront la forme de notes, croquis, dessins, et toute autre présentation que la Société pourra vous indiquer. Les archives seront mises à la disposition de la Société et seront la propriété exclusive de la Société et le demeureront.

Si avec le paragraphe précédent vous croyiez avoir exploré les tréfonds de la clause abusive, vous voyez qu'en fait en creusant un peu on peut trouver pire, puisqu'en plus vous devez tenir des archives de vos créations à jour... et les céder à l'entreprise.

Voilà pour le petit tour d'horizon. Malheureusement, nombreux sont les graphistes qui doivent signer ce contrat sans même le lire. Pourtant, on voit qu'il n'est pas du tout adapté à notre profession, et encore moins au portage salarial. J'ai bien une explication pour cette étrangeté: un employé de la boite à cru bien faire en copiant/collant mot pour mot les clauses d'un contrat de travail interne classique sur un contrat de travail en portage. Voilà ce qui arrive quand on ne fait pas appel à un juriste :-) .

Il faut savoir aussi que même en tant qu'employé classique de la boite, aucune de ces clauses ne tiendraient devant un tribunal, car elles sont toutes largement abusives, voire carrément contraire à la loi !

Et la partie "droits d'auteurs" du graphiste me direz vous ? bah en fait... y'en a même pas !! :-)

Donc pour la santé de votre activité, je ne saurais que vous conseiller de lire ATTENTIVEMENT les contrats que vous signez, et si possible de ne JAMAIS signer un contrat avec ce genre de boite !

Cas #2: la plateforme hype de partage de photo

Quand on est graphiste, on peut être intéressé par tout les outils de "réseau sociaux" et de partage de document, et surtout d'images, via des galeries ou des books online. C'est souvent gratuit, rapide, efficace, "et il suffit d'entre un e-mail, un mot de passe, et cocher une case" pour pouvoir profiter d'un panel de services intéressants. Au fait, avant de cocher la case, vous avez cliqué sur le lien pour lire les CGV ? Je sais que c'est rébarbatif, mais si il s'agit d'œuvre pro ou de réalisations que vous avez effectués pour des clients, il faudrait mieux les lire, car certaines se révèlent être des petites pépites:

Contenu utilisateur

Toutes les photos, images et autre contenu téléchargés sur le site par les utilisateurs (“Contenu utilisateur”) demeurent la propriété de leurs propriétaires respectifs. Par la présente vous concédez à *** un droit et une licence non exclusifs, mondiaux, libres de droit, transmissibles par licence, pour utiliser, publier, copier, modifier, transmettre, afficher et distribuer le Contenu utilisateur fourni par vous en rapport avec le site et les services disponibles sur le site. Vous renoncez à tout droit moral, droit de suite ou droits similaires, que vous possédez (le cas échéant) en rapport avec un tel Contenu utilisateur. Vous concédez irrévocablement à *** et aux utilisateurs du site le droit d'afficher et copier et imprimer sur support papier un tel Contenu utilisateur.

Donc en signant ce contrat, vous renoncez à "tout droit moral". haha. la bonne blague. Il me semble pourtant que notre ami l'article 121.1 du code de la propriété intellectuelle n'est pas tout à fait d'accord avec ça:

Art. L. 121-1. L'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre. Ce droit est attaché à sa personne. Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible. Il est transmissible à cause de mort aux héritiers de l'auteur. L'exercice peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires.

Et pourtant, je vous assure que la société qui à pondu ce contrat est loin d'être une petite PME, et ils ont du faire appel à une batterie de juriste pour écrire ça. Même reflexion que plus haut: si ça vous tente de voir vos visuels ou ceux de vos clients exploités, même commercialement, sans même faire apparaitre votre nom et sans vous en demander la permission avant (ni vous prévenir d'ailleurs), cochez la case "j'accepte les cgv", si au contraire vous voulez un peu protéger votre travail: lisez, et fuyez :-)

Si ces clauses sont abusives, je ne risque pas grand chose du coup !

Pas si sûr, car tant que le contrat n'a pas été jugé comme abusif, certaines clauses, même abusives restent valables, comme par exemple les cessions de droits abracadabrantes. Il est même possible que si vous vous ne respectez pas une de ces clauses, la société vous attaque, et gagne, jusqu'à ce que vous aussi attaquiez le contrat et faisiez reconnaitre par un tribunal l'irrecevabilité de certaines clauses. Des procédures que nous préférons tous éviter je pense ;-) .

Il est aussi possible que si vous demandez des précisions sur ces clauses à la société qui a rédigé le contrat, vous vous voyez répondre que ce sont des clauses "normales", "standard" , qui ne portent pas à conséquence ou qui ne sont là que pour "permettre au site web d'afficher votre travail pour de l'auto promotion". C'est tout à fait possible, et dans la plupart des cas vous n'aurez pas de problèmes avec ça, mais il n'empêche que si vous apposez votre signature sur ce document, toutes ces clauses pas si standard s'appliqueront, et il sera très difficile de s'en défaire.

N'oubliez pas non plus qu'un contrat c'est entre vous et l'entreprise, donc vous n'êtes pas obligé de tout accepter en bloc, il est même fortement conseillé de négocier. Si ça n'est pas possible, à vous de voir si vous signez ou pas, mais quoiqu'il en soit, faites-le en connaissance de cause. Petit rappel également: entre deux professionnels, le délai de rétractation n'existe pas, raison de plus pour laisser un peu de temps à la reflexion.