En voulant instrumentaliser une affaire dont il n'avait aucun détail pour dénoncer le droit d'auteur, Guillaume Champeau, rédacteur en chef de Numerama, s’est pris les pieds dans le tapis, et sa croisade contre le photographe s'est terminée en eau de boudin, y compris au sein même des commentaires de sa plateforme. Il s'est distingué au passage par sa méconnaissance du droit d'auteur et surtout de son fonctionnement pratique.
Disclaimer
Je ne sais rien de plus de l'affaire que les articles que j'ai lu en ligne et le communiqué du photographe. Ce billet n'est pas de dire qui a tort ou raison entre le photographe ou les restos, mais de montrer les dangers d'un coupable trop vite désigné, sur un sujet inconnu du grand public.
// update 09/07/13 : la réponse du photographe en commentaire de l'article de Numerama
Étape 1 : Profiteur d'œuvre caritative, l'épouvantail idéal pour Numerama et les autres médias
Quand le 2 juillet Guillaume Champeau écrit son article, il doit se dire qu'il tient un scoop en or. Quelle meilleure preuve que le droit d'auteur est fondamentalement mauvais et inique, si ce n'est cette attaque perfide d'un photographe se servant de l'image d'une star nationale décédée pour faire cracher au bassinet une association caritative aimée de tous ?
Sur la foi d'une information parcellaire, il va juger Gaston Bergeret et décréter que son action est infondée, le traitant au passage d'enfoiré (jeu de mot facile). L'article (qui contient de grosses erreurs factuelles) est tagué "Copyright Madness", et on va y ajouter au passage quelques trémolos de bon aloi, pour montrer à quel point le mec est un sale type, et comment le droit d'auteur retire le pain de la bouche des pauvres gens démunis :
Pire, comme nous l'ont confirmé les Restaurants du Coeur, le photographe demanderait un dédommagement financier pour l'exploitation passée, et le versement de droits pour l'exploitation future éventuelle. Autant d'argent — dont le montant reste confidentiel — en moins pour l'achat des plats offerts aux plus démunis du pays.
Vous imaginez le scandale, un mec dont la photo est exploité demanderait une compensation financière ? Compensation confidentielle qui plus est, ça fait plus mystérieux, surement des miyards d'euros. Impensable.
En lisant cette histoire, moi qui suis un peu rompu aux droits d'auteurs, je me suis dit 2 choses : la première, c'est que se réveiller après 30 ans d'exploitation publique de sa photo et demander rétroactivement des droits étaient assez inhabituel, et qu'il y avait forcément un élément déclencheur, et que deuxièmement, si son dossier ne contenait que ça, il allait être vite débouté. J'ai essayé de faire valoir ce point de vue sur twitter, mais en vain, c’est les restos du cœur bordel !
Ça semble élémentaire, mais pourtant un grand nombre de médias ont repris l'info sans la vérifier, la recouper, ou simplement demander son point de vue à Gaston Bergeret. Le vilain photographe allait demander des sommes folles à une gentille association caritative, pour la presse moderne, c'est suffisant pour écrire un article.
Notons au passage que même arrêt sur image, très prompt a donner des leçons de journalisme, s'est empressé de relayer l'info via la plume d'Alain Korkos, qui traite également le photographe d'enfoiré. Peut être qu'un jour ASI se rendra compte de la faiblesse d'analyse et de la vacuité des chroniques de Korkos et se décidera à les supprimer, mais c’est une autre histoire (oui, c'était gratuit <3 ).
Étape 2 : La photographie, pas vraiment un travail finalement.
Pour bien enfoncer le clou, Guillaume Champeau commet un deuxième article "La photo de Coluche "c'est 10 secondes", disait Gaston Bergeret" qui souligne que pour 10 secondes de travail, le photographe OSE demander une compensation pour les 30 ans d'exploitation de cette photo. L'article contient toujours des erreurs factuelles sur la demande du photographe, mais ce n'est pas grave, car ce qui va importer ici c'est la minimisation de son travail (bien que le rédac chef de Numerama s'en défende).
L'idée est simple : mettre en relation de manière ultra-démagogique 2 choses qui n'ont aucun rapport pour prouver aux lecteurs de Numerama à quel point il est dégueulasse de n'avoir travaillé QUE DIX SECONDES et pouvoir toucher autant d'argent.
On pourrait dire que Guillaume n'y connait pas grand chose en photographie (comme le prouve par exemple le tweet ci-dessous), mais je pense que c’est encore pire que ça. Le message insidieux qu'il essaye de faire passer à ses lecteurs avec cette histoire de 10 secondes, c'est que les artistes sont des fainéants qui ne travaillent pas beaucoup, et réclament des sommes démesurées. À la trappe les années d'expérience pour justement arriver à faire une belle photo sur le vif, seul compte le temps de la prise de vue.
L'idée derrière tout ça c'est : tu n'es bon qu'à appuyer sur un bouton. Tout le monde aurait pu faire ce portrait. Tu ne mérites pas d'argent pour ton travail.
@ThomasCadene étant moi-même photographe (amateur, certes, mais éclairé), je sais ce que demande un portrait. Pas de génie. @guybirenbaum
— Guillaume Champeau (@gchampeau) July 3, 2013
Dans un autre article, il persiste sur la supposée corrélation entre temps de la pose et l'exploitation de la photographie par des tiers :
l'artiste n'a rien perdu à faire ce don, et qu'il n'y a donc pas de préjudice à indemniser
Une brillante analyse qui fera bondir sur sa chaise tout amateur de propriété intellectuelle (rappelons que contrairement à moi, l'auteur, lui, a une maîtrise de droit et une spécialisation en propriété intellectuelle, qu'il m'a agitée sous le nez.)
@mariejulien bon tu commences à me chauffer. Je déteste sortir cet argument, mais j'ai une maîtrise en droit, spécialité PI. Et toi ?
— Guillaume Champeau (@gchampeau) July 3, 2013
Guillaume Champeau est-il seulement conscient qu'une grosse part de la création photographique se fait en quelques secondes, voire au 1/100e de seconde ? En combien de temps ont été prise la majeure partie des photos historiques ? Combien de temps pour l'homme face aux chars de Tian'anmen ? Combien de temps pour la photo de Kim Phuc courant nue après que son village ait été napalmé ?
Si on suit le raisonnement de Numerama, ces photos peuvent être exploitées commercialement sans gêne et sans compensation, car elles n'ont pris que quelques secondes de "travail". Et les photographes "n'y perdraient rien".
Cette histoire des 10 secondes leur est d'ailleurs bien retombée sur la tronche, et après le retour de flamme dans les commentaires Guillaume s'est empressé de dire à qui voulait l'entendre que "[beaucoup] l'ont interprété à tort comme un jugement de notre part sur la valeur de l’œuvre". Alors que ça n'était pas DU TOUT ça pas vrai ?
Pour enfoncer le clou, on ajoute un peu de pathos, avec une trahison de Coluche en prime (la photo n'a pourtant été exploitée par les restos qu'après la mort du comédien, et selon le photographet Coluche n'a même jamais pu voir cette photo).
Ce qu'avance Numerama
Ce faisant, Gaston Bergeret rompt l'engagement moral qu'il aurait conclu avec Coluche, lequel a eu le tort de faire confiance à la générosité du photographe.
L'explication du photographe :
cette photographie que j’ai réalisé en 10 secondes à Cannes en Mai 1985 n’a jamais été vue par Coluche. Jamais il n’y a eu d’accord verbal entre Coluche et moi, comme vous l’affirmez sur votre site.
Et bim, ça oblitère complètement le récit inventé par Numerama pour faire pleurer dans les chaumières.
Étape 3 : Numerama se prend les pieds dans le tapis
Après la publication du 2e billet, Gaston Bergeret est allé donner sa version de l'affaire à Libération. Comme je le pressentais, l'affaire n'est pas aussi manichéenne que le présentait Numerama. En fait, le photographe a engagé une action civile pour faire respecter son œuvre qui avait été dégradée, et faire cesser l'exploitation pécuniaire de son image par des partenaires de restos du cœur.
En effet, non seulement la photo a été utilisée sans autorisation pour vendre des produits dérivés, mais en plus elle a été recadrée, et une main a été ajoutée pour faire une moustache a Coluche. Le tout au profit non pas des restos, mais de sociétés tierces exploitantes. C'est apparemment la goutte qui a fait déborder le vase.
Je ne sais pas si tout ce que dit le photographe est vrai, ni l'issue de cette affaire, mais on y voit un peu plus clair (comme quoi avec 2 points de vue c’est mieux).
Avec cet éclairage, il semble que du coup Guillaume Champeau, aveuglé par le dénigrement des droits d'auteurs et des artistes qui ne travaillent que 10 secondes, a défendu les grosses entreprises (TF1, Universal…) qui les détournent à leur avantage en massacrant au passage la photo d'un auteur. "Oups, la boulette"
Comment retomber sur ses pieds après un tel retournement de situation ? En s'excusant ? Certainement pas, on va se rattraper aux branches de la morale et expliquer à quel point, quand même, ce photographe n'agit décidément pas comme il faudrait (un gros leitmotiv de la ligne éditoriale de Numerama : expliquer la vie aux artistes). Tout en soulignant (en gras tant qu'à faire) "qu'il ne s'agit pas là d'un problème de droits d'auteurs". Je pouffe.
Cependant, il ne s'agit pas là d'un problème de droits d'auteur. Le fait que TF1, Universal, Eleven Paris ou d'autres exploitent le cliché à des fins commerciales, à leurs propres profits, ne serait pas moins critiquable s'ils permettaient à Gaston Bergeret de s'en enrichir également, en lui versant des droits d'auteur. A aucun moment, d'ailleurs, il ne propose de reverser ces droits à l'association.
Le problème n'est pas l'exploitation commerciale en elle-même, mais le fait que ces entreprises ne reversent pas l'intégralité des bénéfices à l'association pour laquelle le cliché exploité a été dédié. La volonté de Coluche était que son image serve l'association, et toute exploitation commerciale qui profite in fine à l'association, et à elle-seule, est acceptable. Voire souhaitable.
Donc le problème n'est apparemment pas que l'auteur ait vu sa photo déformée et exploitée sans autorisation ni indemnisation par Universal, TF1 et consorts, mais que le bénéfice de cet exploitation n'ait pas été reversé à l'asso. Et le fait que le photographe n'ait rien précisé de ce qu'il allait faire en cas de victoire dans une procédure même pas entamée le classe directement dans la catégorie suspecte. Pour Guillaume Champeau, il devrait annoncer dès maintenant qu'il reverse tout aux restos du cœur (qui n'ont pas hésité à donner l'autorisation d'exploitation aux sociétés tierces).
//Edit 05//07/13 L'idée, précisée en commentaire par Guillaume, est que "personne ne devrait avoir le droit de profiter de cette photo sauf les restos". Une logique imparable.
Notons que le photographe a justement offert l'exploitation des droits de cette photo pendant 30 ans aux restos, pour que justement il en profite, et qu'il réagit maintenant pour faire cesser l'exploitation frauduleuse de son œuvre, et les libertés prise par l'asso. On pourrait aussi penser qu'il mérite rémunération au même titre que les autres prestataires payés par les restos, mais ça n'est même pas la question ici. Rien ne dit qu'il demandera des sommes déraisonnable en dommages et intérêts, ni ce qu'il en fera si il obtient gain de cause.
Pour finir, on fait parler les morts en spéculant sur "la volonté de Coluche" (déjà décédé au moment de l'utilisation de cette photo), c’est décidément la grande classe. Aucune remise en question, il faut prouver à tout prix que le droit d'auteur dans sa forme actuelle est inadapté, quitte à se prendre une énorme tôle.
Numerama : du journalisme d'investigation de haute volée, de l'impartialité dans le traitement de l'info, une connaissance profonde des sujets traités… Et une maîtrise de droit spécialité propriété intellectuelle
1 De Ygwee - 04/07/2013, 23:15
Merci d'avoir pris le temps d’écrire cet article sur un sujet qui mérite vraiment des efforts de pédagogie intensive pour éviter les raccourcis trop souvent effectués par un peu n'importe qui.
Cette croisade actuelle contre la notion même de droit d'auteur est pénible. Elle l'est surtout parce qu'elle repose sur des postulats et une vison erronée. Ce dispositif destiné à protéger les auteurs contre des exploitations abusives de leur travail, nombreux y voient un moyen de spolier le bien public, la société ou je ne sais quoi.
Comme si d'un droit visant à protéger l'auteur de l'exploitant on était passé à un droit qui ne servirait que des exploitants contre le public. Alors certes le lobbying des exploitants des œuvres culturelles tend à fausser la perception toute entière, mais c'est un autre débat et c'est dommage que ce dernier occulte les vrais enjeux du droit d'auteur : la protection en premier lieu de tout plein de secteurs professionnels composés de travailleurs ordinaires et pas juste de rares gens s'enrichissant sur un patrimoine créé par leurs aïeux.
2 De heybrgr - 04/07/2013, 23:25
Merci pour cet article.
Au passage on a entendu parler dernièrement de "droit du public"... WTF !
Le public n'a pas son mot à dire et ne doit pas l'avoir ! L'auteur est créateur d'une œuvre, c'est à lui de choisir comment elle est reproduite ou représentée. Vous imaginez à quoi on en arriverait ? "Nan mé sa a pri 10 secondes a fair koi sa doi etre gratui lol"
Et n'oublions pas que les photographes (et graphistes, designers, créateurs de tout poil) ne vivent pas d'amour et d'eau fraîche. Même pour une association, aussi sympathique soit-elle, tout travail mérite salaire.
3 De Guillaume Champeau - 05/07/2013, 09:48
"En résumé, tout le monde a le droit d'exploiter cette photo et d'en tirer des revenus, sauf le photographe. Une logique imparable".
Voilà en une phrase, résumée toute ton incompréhension de ma position. Je dis l'inverse : personne ne devrait avoir le droit de tirer des revenus de cette photo, sauf les Restos. PERSONNE. Le fait que le photographe tire des revenus parce que les autres le font, ne rendraient pas ce que font TF1 & co plus acceptable. C'est l'ensemble qui est inacceptable. Et c'est en cela que ça n'est pas "un problème de droit d'auteur", au sens civique du mot "problème", mais un problème de morale. Le droit, en l'espèce, n'est qu'un instrument juridique.
A aucune moment Bergeret ne demande à TF1 & co de reverser leurs droits, il leur demande juste d'avoir sa part, ou de tout arrêter. C'est très différent. Et tu fais mine (ou tu es aveuglée?) de l'ignorer.
Il y a plein de bonnes raisons de défendre le droit d'auteur, mais celle-ci n'est en pas une.
4 De Vinz - 05/07/2013, 10:20
Mais... c'est SON boulot ! pourquoi diable nier son droit à exploiter cette photo ? Il n'y a pas de morale qui intervient dans cette histoire, il n'empêche pas les Resto de l'utiliser en plus, bien au contraire.
Il ne fait que défendre ses droits et encore 27 ans après, uniquement parce qu'il y a eu des abus... Ce n'est pas à nous de lui dire ce qu'il doit faire de son argent. Personne ne vient vous dire que vous devez reverser le bénéfice des pubs de numérama à MSF ou au Resto, non ?
5 De 2Bornot2B - 05/07/2013, 10:30
"En résumé, tout le monde a le droit d'exploiter cette photo et d'en tirer des revenus, sauf le photographe. Une logique imparable."
logique implacable même, que le photographe aille réclamer son plateau au resto du coeur. (quelle ironie).
"Ce faisant, Gaston Bergeret rompt l'engagement moral qu'il aurait conclu avec Coluche, lequel a eu le tort de faire confiance à la générosité du photographe."
ah bah ça fend le coeur !
bravo, beau chantage affectif par procuration, comment tout résumer à une trahison préméditée...
c'est du sabotage. le photographe passe vraiment pour un sale type profiteur qui n'a toujours voulu qu'une chose : soutirer de l'argent à une associations en attendant le temps qu'il faudra.... pf.
En même temps, tout s'explique quand on pense à la génèse de son logo presstic.
monsieur champeau, ça sent l'article top budget, vous manquez de thunes ?
6 De Xavier - 05/07/2013, 10:34
Robert Doisneau n'a-t-il pas que, en temps cumulé, l'ensemble de son oeuvre pouvait se résumer à "trois secondes d'éternité" ?
7 De STPo - 05/07/2013, 10:54
@Guillaume Champeau
C'est bien là le fondement de notre désaccord il me semble. J’abhorre pour ma part cette intrusion de la "morale" dans une affaire de droit...
On peut faire dire ce qu'on veut à la morale, elle varie d'une personne à l'autre, elle justifie sans se justifier, elle est la porte ouverte aux jugements de valeur les plus divers (et les plus expéditifs, comme on l'a vu).
La morale est une affaire privée, et en l'instrumentalisant ainsi vous faites de vos tribunes sur Numerama des billets de blog passionnés, pas du journalisme d'investigation. Pourquoi pas, cela dit.
8 De Julien - 05/07/2013, 11:05
Déjà, pour ce qui est du photographe, c'était le cas jusqu'à maintenant, jusqu'à ce qu'il doive prendre des mesure pour faire cesser la dégradation de son œuvre. Il a tenté a l'amiable mais n'a pas eu d'autre choix que d'attaquer. Ensuite, même si son choix peut être de céder ses droits gratuitement au restos, il pourrait être de gagner sa vie grâce à son travail, ce qui n'est pas moins condamnable que quand les restos payent leurs prestataires (imprimeurs, loueurs de salles, regisseurs, intermittent). À part dans ta "morale" mais c'est une autre histoire.
Mais enfin c'est NORMAL, comment pourrait-il faire juridiquement pour faire ce que tu dis ? La photo lui appartient, il ne peut pas agir à la place des restos, ça n'a aucun sens ! Comment un individu peut juridiquement demander le reversement de son préjudice à un tiers ? Il est bien obligé de d'abord obtenir réparation en son nom, puis éventuellement de reverser ce qu'il veut reverser. Je te rappelle qu'on ne sait même pas quelle est la somme du préjudice réclamé, ni ce qu'il va en faire. De surcroît, il est bien obligé d'attaquer les restos puisque c'est à la fois le diffuseur et celui qui a cédé une licence aux autres entreprises sans la détenir elle même.
Tu dis t'y connaitre en droits d'auteur, alors tu devrais savoir tout ça.
9 De Guillaume Champeau - 05/07/2013, 12:17
@STPo : en effet nous avons un déssacord fondamental sur ce point. Puisque nous ne sommes pas des juges chargés d'appliquer la loi, mais des commentateurs et sujets de la loi et de son application, il est indispensable de s'interroger sur la légitimité de la loi qui est appliquée, ce qui fait appel à la morale au sens large. Il y avait ce sujet au bac : "peut-on être moral sans s'intéresser à la politique". On est en plein dedans. Le politique, "la vie de la Cité", ses normes, ça implique forcément un rapport aux autres, à la société, et ce rapport s'analyse sous le spectre de la morale, qui dicte les comportements acceptables ou non en société. Dire toujours "dura lex, sed lex", ça n'a pas de sens, sauf à renoncer à sa condition de citoyen, pour se résigner à celle de sujet.
Ca ne m'intéresse pas de savoir si les choses sont uniquement "légales" ou "illégales". Ce qui m'intéresse c'est aussi (voire surtout) de savoir si elles sont "légitimes" ou "illégitimes". Car c'est la légitimité qui doit conduire à la loi, et non la loi qui doit dicter la légitimité.
@Julien : d'accord avec toi sur les possibilités juridiques offertes dans l'assignation. Mais en l'espèce je parle de ce qu'il raconte dans Libération. A aucun moment il ne demande que les droits soient reversés, ou dit que c'est son intention. Pire, il a envoyé une facture aux Restos. Par contre il dit qu'il faut contacter son avocat pour négocier l'indemnité qu'il touchera... Bref, tu as le droit de croire que ce Monsieur est plein de bons sentiments et qu'il ne fait pas du tout ça par intéressement, mais les faits et rien que les faits ne plaident pas pour cette interprétation. Il voit que tout le monde se goinfre avec sa photo (ou en tout cas avec les Restos), et il a raison de le dénoncer, mais ça le choque parce que lui-même ne se goinfre pas. Et ça, pardon, ça me choque.
10 De Julien - 05/07/2013, 12:36
Je ne connais pas le photographe, je ne peux pas deviner ses intentions. Mais en l'état, elles me semblent légales ET légitimes. Si TF1 se goinfre sur son travail et génère des revenus grâce à lui, c'est normal qu'il touche une part de ces revenus (sans pour autant que ça impacte les finances des restos).
11 De heybrgr - 05/07/2013, 12:53
@Guillaume Champeau
C'est très bien de s'interroger sur le bien fondé d'une loi et de ne pas tout accepter benoitement. Mais dans le cas présent la loi n'a absolument rien d'illégitime !
Que tu aies une dent contre ce photographe, pourquoi pas, que ses intentions soient mauvaises, peut-être. Et alors ? Cela doit-il remettre en cause la rémunération de tous les autres auteurs, sous prétexte qu'un seul ne devrait pas (selon toi) récupérer de l'argent sur son travail ? Ce type est peut être un connard fini, ça n'empêche pas que son travail mérite rémunération, et que son œuvre mérite d'être utilisée selon son bon vouloir et non détournée sans autorisation !
Il me semble qu'en tant qu'auteur de tes articles, tu ne souhaiterais pas voir les voir détournés et réutilisés. Et si tu l'acceptais, il semblerait normal que tu puisses demander une contrepartie. Tu peux aussi le faire gratuitement, mais c'est ton choix, comme cela doit être le choix du photographe ! Et heureusement c'est ce que permet la loi, et c'est totalement légitime.
12 De STPo - 05/07/2013, 12:58
@Guillaume Champeau
Sans gloser indéfiniment sur les termes : je n'aime pas celui de "morale" qui renvoie pour moi à des notions d'arbitraire et de censure, et qui te fait à mon sens déraper vers des jugements de valeur contre-productifs dans tes billets (les 30 secondes, le préjudice jugé nul à la place de celui qui le subit, "ce qu'aurait voulu Coluche", etc.). Étant aux premières loges (je VIS du droit d'auteur), je suis intéressé par ton questionnement sur sa légitimité, mais il est noyé ici dans ces raccourcis trop rapides qui te mettent tout le monde à dos, c'est dommage.
Je suis auteur, et comme le photographe dont il est question ici j'entends décider seul de la valeur et des conditions d'exploitation de mon travail. Si on déroge aux conditions que j'ai fixées, j'entends bien réagir, et, si nécessaire, obtenir réparation. J'ai beau chercher, j'ai du mal à voir ce qu'il y a d'illégitime (ou si tu préfères, d'immoral) là-dedans...
13 De Guillaume Champeau - 05/07/2013, 13:52
@heybrgr @STPo
J'aime bien radicaliser la pensée, au sens éthymologique du terme. Il faut connaître les racines, pour comprendre d'où viennent les feuilles des arbres ; et il faut connaître les racines du droit, pour comprendre d'où viennent les lois.
Le droit d'auteur, c'est pas juste un truc qu'on a inventé comme ça, pour rémunérer les auteurs. C'était, et j'insiste sur cette expression, un contrat social, passé entre la société et les auteurs. Il s'agissait pour la société de dire aux auteurs "vous nous faites don de vos oeuvres, qui enchissent notre culture et rendent notre vie meilleure ; en échange, nous vous offrons les conditions pour continuer à créer d'autres oeuvres". Ces conditions, aux origines, c'était octroyer un droit d'exclusivité, très temporaire (de mémoire, 14 ans après création). C'est la société qui donne à l'auteur le droit exclusif temporaire sur sa création, et non l'auteur qui offre son oeuvre dans le domaine public après un certain temps. C'est très important à rappeler parce que ça montre qu'aux racines des choses — et je sais que ça choque toujours quand je le rappelle ; l'oeuvre n'appartient pas à l'auteur, mais au public. C'est par concession juridique, temporaire, qu'elle appartient à l'auteur. Et ensuite, elle retombe dans le "domaine public".
C'est essentiel parce qu'on ne comprend rien aux débats sur le droit d'auteur si on refuse de le voir comme ce qu'il est : un contrat social qui doit équilibrer les droits des auteurs et les droits du public.
Mon point de vue, c'est qu'essentiellement à travers le rallongement continuel de la durée des droits, mais pas seulement, le droit d'auteur a été totalement déséquilibré, au profit des auteurs, contre le public. C'est aussi vrai des exceptions prévues par la loi, qui sont en Europe extrêmement restrictives (absence de "fair use" par exemple). Je ne me bats pas pour la suppression des droits d'auteur, mais pour une révision radicale de la loi, qui rééquilibre les droits & devoirs de chacun.
Cette parenthèse étant faite, le problème que je dénonce dans l'affaire Coluche n'est pas la loi, c'est la pratique de certains auteurs qui abusent de cette loi.
Quand un auteur accepte que son oeuvre devienne quasiment du domaine public de fait, comme c'était le cas de la photo de Coluche qui avait été "offerte aux Restos du Coeur" (c'était présenté par lui-même avec ces mots lors d'une expo récente), ça n'est pas de mon point de vue légitime de sa part de venir 27 ans plus tard demander son dû (les dérives avec TF1 & co, ça date pas de 2013...). C'est son droit, mais c'est pas légitime. Ce qui est légitime c'est de demander que ça s'arrête, et que de dire que la photo doit servir exclusivement la cause des Restos. Mais se réveiller au bout d'un quart de siècle pour dire "moi aussi je veux en être, mettez-moi du caviard dans l'assiette", c'est quelque chose qui dépasse le droit d'auteur. Et quand il reconnaît lui-même que "c'est 10 secondes", oui, c'est important à rappeler, parce que ce Monsieur n'a rien perdu à faire cette photo, il n'a rien perdu à en faire don, et qu'il est donc difficile d'expliquer sa démarche de demande d'indemnisation autrement que par la cupidité. S'il avait simplement demandé que la photo ne soit pas utilisée par des entreprises qui tirent profits des Restos, mon discours aurait été très différent. Depuis 27 ans ça n'a jamais été le cas, et cette année ça n'est pas le cas non plus, il veut simplement sa part du gateau.
14 De Julien - 05/07/2013, 14:35
Et comment faire ça, si ce n'est par une demande en justice ? Le gars va aller sous la tour TF1 et dire à Mougeotte de descendre avec l'argent ?
Encore du mépris pour les auteurs… et toi, tu "perds quelque chose" en allant bosser ? Quand tu écris un article sur Numerama tu perds un truc ? Non, pourtant tu demandes bien une rémunération (via 1 tonne de pub, ce que personnellement je trouve complètement immoral) Juger la valeur d'une chose par "ce qu'on y a perdu" plutôt que par ce qu'elle apporte est assez limité. La question n'est pas de savoir si il y a perdu, mais qui y a gagné et combien. Aucune raison qu'il soit le dindon de cette farce.
Pour finir, je le répète, je ne connais pas ce photographe, qui si ça se trouve veut saigner les restos du cœur et entrainer leur fermeture par sa cupidité, mais là n’est pas la question, on ne va pas revoir tout un système pour les rares abus qu'il génère. Et par ailleurs, si il a attendu 27 ans pour se réveiller, les restos eux ne sont jamais soucié de coucher une cession de droit sur le papier, en 27 ans d'exploitation intensive, alors qu'ils auraient été tranquille si ils l'avaient fait.
Il était très simple d'éviter ce problème, dès le début, pour une somme modique voire nulle.
Pour ton plaidoyer sur les droits d'auteurs, tu ne réagis comme si il n'y avait que les auteurs et le public, sans intermédiaires. Or l'écrasante majorité des tractations de droits d'auteur se font entre professionnels, et permettent de protéger l'auteur dans ses négociations avec les exploitants, tout en lui assurant un revenu. Le public n'a pas son mot à dire dans le contrat signé par 2 entités qui lui sont étrangères. "Le contrat est le droit des parties" comme on dit 'et pas opposable à un tiers)
15 De STPo - 05/07/2013, 15:16
Je n’arrive toujours pas à suivre ton raisonnement sur le « droit du public » à disposer nativement d’un travail personnel qui ne lui appartient pas (voire qui ne lui est pas même destiné). Mais enfin, en vertu de quoi ?
Concernant le cas particulier du photographe, le fait qu’il n’ait rien « perdu » est subjectif en plus d'être hors-sujet… Un préjudice n’est pas nécessairement financier, et encore heureux.
Et l’auteur n’a pas à « demander que son travail ne soit pas utilisé par des entreprises qui en tirent profit » (non mais franchement ?), c’est exactement l’inverse et c’est très bien comme ça : il peut S’IL LE SOUHAITE autoriser UNIQUEMENT CERTAINS à en faire un usage BIEN PRÉCIS, tout le reste étant tacitement INTERDIT. C’est à ça que servent les contrats de cession de droits, contrats que le photographe a dû rédiger (ou aurait dû, je n’ai pas suivi tous les détails). Je ne t’apprends rien en disant cela j’imagine, mais j’essaie de comprendre ce que tu reproches à ce mode de fonctionnement, qui pour le coup me semble parfaitement respectueux, moral et légitime…
Accessoirement, je rigole doucement quand tu parles de profit déséquilibré en faveur des auteurs… L’écrasante majorité des auteurs que je connais vit dans la misère la plus crasse, s’aveugler des millions de quelques Hallyday ou Pagny ne changera rien à cette réalité.
16 De Julien - 05/07/2013, 15:31
D'autant que le droit de divulgation est le 2e article du droit de propriété intellectuelle, donc moi non plus je ne comprends pas trop cette histoire d'œuvre qui appartient au public dans un premier temps, et qui autorise l'auteur à en tirer profit. Je veux bien les sources de cette conception (même si dans tous les cas elle n'est pas en vigueur aujourd'hui)
17 De heybrgr - 05/07/2013, 15:35
Encore une fois le public n'a pas son mot à dire... Un auteur doit choisir de quelle façon son œuvre est partagée, c'est normal. Il en vit !! Ce n'est pas à une tierce personne de décider comment il doit partager son œuvre et à quel prix.
Après sa mort c'est différent, et la durée après laquelle son œuvre devient publique est un point sur lequel on peut débattre, mais qui ne s'applique pas dans le cas présent ! Le photographe est vivant ! Ton argument est irrecevable !
Encore une fois quelque soit l'intention de ce photographe, quelque soit la qualité de son travail, il a le droit d'être rémunéré pour celui-ci, même 50 ans après. Il peut être opportuniste (se réveiller après un long délai paraît étrange au premier abord) ou non (réaction récente suite aux détournements non souhaités de son œuvre, cf Eleven), mais quelque soit sa motivation, il a le droit de toucher un revenu de l'utilisation de son œuvre. Ce n'est pas immoral, il n'exploite personne. Ce sont les autres, y compris les Restos qui exploitent son travail.
Il ne faut pas tout inverser juste pour taper sur le droit d'auteur. Si ton but était de débattre de la durée d'entrée dans le domaine public, il fallait faire un article là dessus, pas sauter sur l'opportunité et fustiger ce photographe, son cas n'a rien à voir !
18 De Jean - 06/07/2013, 12:28
Il est comique de constater combien Guillaume Champeau, qui se prévaut d’une maîtrise de droit en propriété intellectuelle est ignorant de l’histoire du droit d’auteur. À moins qu’à dessein il ne torde la réalité dans un sens qui lui convient pour abuser ses interlocuteurs dans ce débat ?
Je le cite :
« c'était octroyer un droit d'exclusivité, très temporaire (de mémoire, 14 ans après création). C'est la société qui donne à l'auteur le droit exclusif temporaire sur sa création, »
Comparons avec l’article premier du “Décret concernant les Contrefacteurs, rendu le 19 juillet 1793…” qui fonde le droit d’auteur, après la loi de 1791 qui consacre la propriété des auteurs de théâtre et de littérature sur leur œuvre.
« Art. I. Les auteurs d’écrits en tout genre, les compositeurs de musique, les peintres et dessinateurs qui feront graver des tableaux ou desseins, jouiront durant leur vie entière, du droit exclusif de vendre, faire vendre, distribuer leurs ouvrages dans le territoire de la république, et d’en céder la propriété en tout ou en partie. »
On trouve ce décret sur wikipedia, et oui c’est ballot Guillaume, trop facile de vérifier LOL :
http://bit.ly/12sIpzB
Graphistes, téléchargez et imprimez, la typo d’époque est très belle et c’est là le fondement du droit de tout citoyen sans exception
Constatons que la thèse de Guillaume Champeau fondée sur un tel présupposé imaginaire ne vaut plus rien.
Au fond. La révolution de 1789 consacre la propriété individuelle pour tout citoyen y compris sur les œuvres de l’esprit, par nature immatérielles.
« La propriété de toutes les propriétés la moins susceptible de contestation, celle dont l’accroissement ne peut ni blesser l’égalité républicaine, ni donner ombrage à la liberté, c’est sans contredit celle des productions du génie, et si quelque chose doit étonner, c’est qu’il ait fallu reconnaître cette propriété, assurer son libre exercice, par une loi positive. » – Lakanal (1791)
Ce photographe fait ce qu’il veut de sa photo. Il est sain qu’il demande des comptes aux profiteurs du charity business qui la dénaturent et l’exploitent sans vergogne. Il n’y a aucune morale à lui opposer, il a donné sa photo aux restos et il ne la leur retire pas. Très bien Gaston Bergeret : vous êtes très classe à l’inverse des autres… En particulier ceux qui vous dénigrent en avançant des contre-vérités pour vous salir sans prendre même la peine de vous entendre : Coluche était mort lorsqu’il a donné sa photo, il n’y donc eu aucun pacte avec lui. Beau travail de journaliste intègre ! Voir ici la réponse de Gaston Bergeret dans les commentaires sous l’article de Guillaume Champeau :
http://urlalacon.com/yMWMp8
19 De Roy - 06/07/2013, 15:01
Effectivement, en lisant les justifications de Guillaume Champeau, on remarque qu'il se perd allègrement, en assumant le fait de mélanger droit et moral.
Qu'il remette en cause le droit, certes, c'est son droit (huhu), mais le faire en jugeant quelqu'un et en le rabaissant, c'est tout à fait hors sujet.
Le droit est écrit, noir sur blanc, la morale elle, est tout à fait variable. Tout le monde peut se baser sur le droit (certains plus que d'autres, au prix des avocats, certes), c'est une langue commune, alors que la morale...
En lisant le message de Gaston Bergeret, je pense qu'effectivement Guillaume Champeau est à côté de la plaque, qu'il refuse de se remettre en cause, et qu'il a une dent contre les artistes.
Bien à vous!
20 De Guillaume Champeau - 06/07/2013, 20:43
@Jean : depuis quand l'histoire du droit d'auteur commence en 1789 ? La première grande loi (en tant que telle) sur le droit d'auteur, c'est le Statute Of Anne de 1710. Et tu peux vérifier, c'était bien 14 ans, renouvelable une fois, après création :
http://en.wikipedia.org/wiki/Statut...
Mais bon, "Il est comique de constater combien Guillaume Champeau, qui se prévaut d’une maîtrise de droit en propriété intellectuelle est ignorant de l’histoire du droit d’auteur.". Haha. Que c'est drôle en effet.
21 De André - 06/07/2013, 21:09
Le Statute Of Anne, une loi française donc.
Ah ce Guillaume, toujours le mot pour rire !
22 De Julien - 07/07/2013, 10:13
Notons que Guillaume a eu sa maîtrise de droit à L'University of Ottawa, de même que sa spécialisation "high-tech and copyright law". Or il y a quelques différences notables entre le droit d'auteur anglo-saxon et le droit d'auteur français (qui est un des plus protecteur). Les principes fondateurs ne sont peut-être pas les mêmes, comme on peut le voir. Je ne suis pas spécialiste en histoire du droit, mais les fondement des textes ont l'air différents.
Ça ne veut pas dire que Guillaume a tort dans sa conception, mais juste qu'elle change selon les pays et cultures.
23 De Guillaume Champeau - 08/07/2013, 08:31
@Julien : ça c'est vrai que ça a très certainement une influence culturelle sur mon analyse, en effet.
24 De Guillaume Champeau - 08/07/2013, 08:32
@Andre : prends n'importe quel livre (sérieux) d'histoire du droit d'auteur, le Statute of Anne est toujours présenté comme une loi fondatrice. Faire de l'analyse franco-française post-révolutionnaire, c'est se mettre à soi-même des oeillères.
25 De STPo - 08/07/2013, 11:02
@Guillaume
Accessoirement les origines médiévales de la loi machin ou de la loi truc, c'est super pour l'éducation civique mais ça ne saurait justifier quoi que ce soit ici. Le servage est un système qui marchait super bien il y a 1000 ans, pourtant personne ne se plaint que le droit du travail ait évolué...
Je cherche toujours ce que tu reproches au fonctionnement du droit d'auteur aujourd'hui, et je serais également curieux de lire tes réactions à l'intervention du photographe en personne dans les commentaires de Numerama.
26 De Guillaume Champeau - 08/07/2013, 16:12
@STPo : le 18ème siècle, c'est plus vraiment le médiéval. Et d'où te vient cette certitude que seuls les contemporains ont les bonnes idées ? Bien sûr qu'il y a des tas de choses qui sont mieux aujourd'hui qu'il y a 300 ans (pas 1000 ....), mais l'on peut aussi regarder les choses avec distanciation. Tu parles du servage, crois-tu vraiment qu'il a disparu, ou qu'il a juste changé de forme ? Je ne suis pas sûr qu'un artiste qui ne peut vivre (décemment) aujourd'hui à travers le droit d'auteur qu'en réalisant une oeuvre à succès se sente beaucoup plus libre que l'artiste qui, hier, devait répondre aux attentes de quelques mécènes, dans un monde sans droits d'auteur mais sous commandes. Mais c'est encore un autre débat qui nous amènerait trop loin.
27 De Julien - 08/07/2013, 16:49
@Guillaume : Là on s'éloigne complètement sujet. si tu as choisi de fonder ta conception du droit d'auteur sur une loi anglaise de 1710, libre à toi, mais c'est TA conception, et je pense qu'on peut dire sans se tromper qu'il y a eu certaines évolutions depuis. De plus, cette loi n'a jamais été en vigueur en France, qui comme on le voit avait comme base de ses lois une protection de l'auteur.
Jamais il n'a été question d'œuvre appartenant au domaine public qui concéderait un droit d'exploitation à l'auteur. Ça n'est pas du tout l'esprit de la loi française, ni aujourd'hui, ni au 18e siècle. Après ça peut être ta vision des choses, mais ne mélange pas tout et surtout ne tourne pas l'esprit des lois pour t'en servir de base argumentaire.
Dès les premières lois françaises sur le droit d'auteur, le législateur a clairement exprimé que seul l'auteur pouvait disposer de son œuvre et en céder les droits, et c’est toujours le cas aujourd'hui. Tu peux trouver que c'est mal, mais il est malhonnête d'essayer de faire croire qu'il y a eu un état de la loi où tout appartenait au domaine public par défaut. Et de toutes façons, nous sommes en 2013.
L'œuvre appartient donc a l'auteur qui peut en faire ce qu'il veut et monnayer son exploitation, ce qui permet aux auteurs de vivre (la plupart ne sont pas milliardaires) et c’est tant mieux, même si ça te défrise.
28 De STPo - 08/07/2013, 16:58
@Guigui
Tu joues sur les mots, j’aurais très bien pu parler de l’esclavage (aboli il y a moins de 300 ans, là, t’es content ?), tu vois très bien ce que je veux dire.
Des auteurs qui galèrent, il y en a plein, mais ils ne galèrent certainement pas à cause du droit d’auteur (qui en France compte parmi les plus protecteurs au monde !).
Un auteur peut parfaitement vivre en vendant les droits de son travail sans faire un disque d’or. Tu sais comment je sais ça ? Parce que JE SUIS AUTEUR ET QUE J'Y ARRIVE. Et que comme la plupart des mes congénères, ma survie n'est pas dépendante d'un hypothétique « succès » mais bien d'une successions de travaux réguliers, au jour le jour, avec divers clients qui me paient ce que je demande parce que ce je fais pour eux leur rapporte davantage. Je ne suis pas riche comme Crésus, je ne suis pas plus malin qu'un autre, je ne floue personne, je ne geins pas sur mon statut et je suis loin d’être le seul.
(Je parle volontairement d’auteur et pas d’« artiste », attention avec ce terme infernal)
29 De heybrgr - 08/07/2013, 17:01
@Guillaume Champeau
Débattre de l'origine du droit d'auteur c'est bien (même si c'est très discutable de baser son raisonnement sur des lois étrangères, dans des pays aux cultures et droits du travail différents), mais c'est pas mal aussi de répondre aux questions posées.
Gaston Bergeret a pris la peine de répondre sur Numérama : tu es bien silencieux, toi qui est si prompt à donner des leçons d'histoire.
En dehors de la durée des droits après la mort de l'auteur, je crois que nous sommes nombreux à ne pas trouver claires tes critiques du système actuel, des précisions seraient bienvenues.
Au passage je cherche encore ce qu'il y a de mal à vouloir protéger les artistes (de leur vivant, après leur mort c'est un autre débat, mais je me répète)...
30 De Mandrake - 09/07/2013, 12:41
Merci pour cet article de blog.
Etant l'auteur d'un film qui raconte la vie d'un quartier du Faubourg St-Antoine, dont le "fameux" Gaston Bergeret est l'un des personnages les plus hauts en couleurs, et d'avoir eu la mauvaise idée de mettre en ligne un petit montage fin 2011 pour donner un coup de pouce à sa première expo parisienne depuis très longtemps, je me suis retrouvé à devoir bloquer les commentaires insultants (et même, dirais-je, poujado-haineux) de gens qui avaient lu l'article de Numérama et avaient cherché sur Google à quoi ressemblait cet "enfoiré de photographe qui veut se faire du fric sur la tombe de Coluche et dans la gamelle des Restos du Coeur"....
Comme quoi, il faut toujours réfléchir à ce qu'on écrit, et aux conséquence de ce qu'on met en ligne lorsque c'est pour délivrer un point de vue manichéen...
La chose qui m'aura le plus épouvanté, finalement, c'est l'ABSENCE TOTALE DE RECUL ET D'INFOS A LA SOURCE de la part de gens qui font du journalisme, ou croient le faire. (parce que les commentaires et "billets d'humeur" de journalistes qui ne vérifient pas et ne recoupent pas leurs infos, c'est quoi ?)
On a le droit d'avoir un avis sur l'action de Gaston Bergeret, mais encore faut-il savoir de quoi il retourne.
Surtout, énoncer des FAITS !
Coluche a donné son "accord verbal" à Gaston pour l'exploitation de la photo... pour "Vogue Italie" en 1985, à l'occasion du festival de Cannes. (et pas, comme semblait implicitement le laisser croire pas mal d'articles, dont le 1er mis en ligne par Numérama, pour les Restos du Coeur)
La photo en question a été offerte par Gaston pour animer les restaus à l'hiver 1986 (camionnettes, affiches) après qu'il l'ait faite parvenir à Véronique Colucci à la demande d'une amie commune. Véronique Colucci a souhaité qu'elle puisse accompagner les campagnes de communication autour des Restos ensuite.
A partir de ce moment, il n'a plus jamais eu de contacts avec l'organisation des Restos du Coeur, et par ailleurs il est de ceux qui ne vont pas sur internet et n'a pas suivi ce que les Enfoirés faisaient de la photo, sauf quand quelqu'un y faisait allusion et demandait ce qu'il en pensait.
Par ailleurs il n'a JAMAIS DEMANDE QU'ON RETIRE LA PHOTO DES RESTAUS, dont il maintient qu'elle leur a été offerte pour cela, sans demander de rétribution pour cet usage ! Ce sont les Restos du Coeur qui ont décidé de "communiquer" en obligeant les bénévoles à retirer la photo, alors que l'action au civil concerne l'exploitation de ladite photo sur des supports commerciaux, dans des communications visuelles détournées, sans l'accord de l'auteur de la photo.
Je ne suis pas, à titre personnel, vraiment d'accord avec la manière dont Gaston a choisi de se lancer dans cette bataille juridique, et je pense que ça lui fera plus de torts qu'autre chose (que ce soit en termes de réputation, car minoritaires sont les gens qui prennent le temps d'en savoir plus, ou même en termes de communication autour de la notion de droits d'auteur pour la photographie - car le public va être prompt à tout mélanger). Mais c'est son choix, voilà. Il exprime de sa part un ras-le-bol sur les dérives d'un processus marketing à grande échelle et la mise à l'écart de l'auteur du cliché.
Mais pour autant, l'invitation implicite au lynchage médiatique par certains est vraiment à la limite de l'ordurier.
N'étant pas été prévenu par le Gaston en question de son action (on s'est un peu expliqués depuis et j'ai même été improviser un filmage d'interview pour "Arrêt sur Images"), je me suis retrouvé à gérer des tombereaux d'insultes via des commentaires sur mes vidéos alors que je n'ai rien à voir avec l'affaire en question, et par ailleurs la galerie qui avait exposé ses photos en 2011 (il y a des vrais petits chefs-d'oeuvre parmi elles, soit dit en passant) a eu droit à des intimidations et insultes, parfois des menaces, de la part de "gens bien intentionnés", comme aurait chanté Brassens...
Encore un peu et j'aurais pu, à mon tour, intenter un procès à Numérama pour l'exploitation à des fins malsaines de ma vidéo, sans avoir eu l'élégance ou la politesse de m'en avertir... ?
Amicalement à tous.
31 De Jean - 09/07/2013, 14:14
@Guillaume Champeau
C’est ballot mais le DROIT d’AUTEUR commence bien à partir du moment où dans l’histoire on instaure par la loi le DROIT EXCLUSIF de l’AUTEUR sur son œuvre, droit de propriété tel que défini dans la déclaration des droits de l’homme de 1789. Quant à comparer un privilège royal accordé à la corporation des ÉDITEURS-IMPRIMEURS… au DROIT de l’AUTEUR, non, vraiment, je ne vois pas. Tout ce que je peux faire c’est constater qu’AUTEUR et ÉDITEUR ne sont pas les mêmes mots.
Une telle confusion est symptomatique. On ne tient pas compte de l’histoire, de l’évolution des idées et de la politique, de l’apport des *Lumières*, des évolutions sociales… Comme si la révolution française n’avait eu aucun effet sur les affaires du monde. Accessoirement on se pose des questions sur la qualité des études de droit de Guillaume Champeau et on comprends mieux qu’on puisse lire dans Numerama des thèses pour le moins farfelues.
Rappel : abolition des privilèges dans la nuit du 4 août 1789, ensuite abolition des corporations, c’est le DROIT d’AUTEUR qui vient remplacer le privilège accordé auparavant aux ÉDITEURS-IMPRIMEURS et qui instaurait une exclusivité d’impression à leur bénéfice. Lire la “Lettre sur le commerce de la librairie” (1767) de Denis Diderot pour connaître le mécanisme du privilège dans la lutte contre la contrefaçon au XVIIIe siècle. Il n’est jamais trop tard pour s’instruire
32 De Jean - 10/07/2013, 18:35
Pour ceux que cela intéresse, la “Lettre sur le commerce de la librairie” (1767) de Denis Diderot au format ePub :
http://ovh.to/BheQBt
C’est une bonne description du commerce des livres, de la contrefaçon et de l’attribution des privilèges de publication, écrite à l’intention de M. de Sartine, lieutenant général de police, tout est dit :
« LETTRE HISTORIQUE ET POLITIQUE ADRESSÉE A UN MAGISTRAT SUR LE COMMERCE DE LA LIBRAIRIE SON ÉTAT ANCIEN ET ACTUEL, SES RÈGLEMENTS, LES PRIVILÈGES, LES PERMISSIONS TACITES, LES CENSEURS, LES COLPORTEURS, LE PASSAGE DES PONTS ET AUTRES OBJETS RELATIFS A LA POLICE LITTÉRAIRE (Juin 1767) »
Comprendre à lumière des mœurs de l’ancien régime que si le “Statute of Anne” limite le privilège à 14 ans, c’est que cela sert la censure, l’absolutisme royal tient à garder le pouvoir sur les imprimeurs et leurs publications. Déclarer qu’il s’agirait d’une disposition visant à laisser de quoi vivre aux auteurs pendant un temps relève d’une élucubration qu’on trouve sur les forums ou les publications anti droit d’auteur, d’une analyse fallacieuse, une vision trompeuse du passé par le prisme de nos sociétés modernes. Les auteurs restaient tributaires de leur éditeur-imprimeur – et accessoirement de pensions et dotations des princes d’Europe –, lesquels imprimeurs exerçaient leur commerce sous l’œil bienveillant des autorités.
33 De Guillaume Jouve - 02/09/2013, 17:54
Excellent article ! Bravo !
Sans complaisance, ni parti pris et qui pose de passionnantes questions.
Le débat qui s'en est suivi -via les commentaires- est tout aussi intéressant, même s'il est fortement envenimé (d'après moi) par un partisan du "tout gratuit et contre les droits d'auteur". En effet, si chacun use de réflexivité dans son analyse, Guillaume Champeau mène me semble-t-il une croisade contre les auteurs, purement et simplement. Pour s'en convaincre, la rubrique "anti-droit d'auteur" qu'il consacre sur son site : http://www.numerama.com/magazine/26...
D'après moi la question du droit d'auteur se doit d'être abordée avec rigueur et esprit scientifique. L'esprit partisan nuit grandement à l'étude et l'analyse d'un sujet si passionnant. Quel dommage donc, que Monsieur Champeau se borne un peu bêtement à lutter contre les auteurs de tout poil... Comme vu sur son site, il s'offusque que Martin Luther King est protégé son fameux discours "I have a dream" et que celui-ci ne soit pas de facto dans le domaine public. Mais ce n'est pas parcequ'une oeuvre est belle, ou plus belle qu'une autre, ou qu'elle a un impact déterminant dans l'histoire, que la volonté de l'auteur doit être réinterprétée ?! De quel droit ? Vous souhaiteriez qu'elle soit publique, très bien, moi aussi. Mais, à la différence de vous, je RESPECTE le voeux de son auteur de la protéger. Que sa famille voudrait vendre des T-shirt du discours, je le RESPECTERAIS tout autant. Dans le vie, il n'y pas les "BONNES" oeuvres" et les "MAUVAISES"... Il n'y a pas les oeuvre qu'on aime bien et donc qu'on "fiche" dans le domaine public et les autres... Un peu de subtilité que diable et de respect pour les auteurs, qu'ils vous plaisent ou non.
Merci.
34 De Ilmio - 14/05/2016, 17:55
Bon article sur le droit d'auteur.
Il est toujours étonnant de voir que certains oublient des choses pourtant essentielles. Je viens de voir la photo avec cette main. Sur le lien plus bas.
http://i2.cdscdn.com/pdt2/9/7/8/1/7...
La question qui me vient c'est "L'auteur est-il d'accord de voir son œuvre ainsi modifiée?"
Je ne suis pas pour un droit d'auteur global mais force et de constater les dévires si elles n'existaient pas.
Dans le domaine vidéoludique par exemple certaines œuvres auraient disparu. De mes souvenirs, la compagnie Taito aurait eu un incendie perdant ainsi plusieurs jeux comme "Bubble and Bobble", "Rastan" ou "New Zealand Story" et sans les "roms" (copie virtuelle du jeu dans un ordinateur qui est bien sur illégal), la société aurait perdu ses œuvres et n'aurait pas pu ressortir Taito Legend 1 et 2, compilation d'anciens jeux du studio.
Pour revenir à cette affaire, il me semble normal que de voir son "œuvre" ainsi exploitée, l'auteur bouge même si c'est une association caritative.
Surtout, et cela est mon avis. Vu ce qu'est devenu les restos du cœur. Presque une pompe à fric. Un passage obligé pour le showbiz pour ce faire moussé médiatiquement mais je m'égare. Car il y a toujours des bons gars qui travaillent pour aider les autres et ça c'est le plus important.
35 De Malyha - 26/05/2016, 20:27
J'étais intéressé par devenir bénévole pour Emmaüs connect et j'ai été étonnée de voir qu'ils demandent des graphistes et photographes bénévoles
http://connexions-solidaires.fr/agi...
J'ai tout de suite dis que je ne mélangeais pas profession et bénévolat, préférant faire du bénévolat directement auprès des démunis. Enfin de compte je n'ai pas donné suite m'apercevant qu'il avait des google, total, sfr, et j'en passe, pour partenaires.
Quand même faire du bénévolat pour aider les pauvres ok mais Emmaüs gagne assez d'argent pour payer des graphistes et photographes qui peuvent très bien faire des prix étudiés par conviction.