TL;DR (après tout c’est un article sur la flemme)

N’attribuez pas forcément vos projets non terminés à du perfectionnisme ou à un mal mystérieux, c’est peut-être bien plus trivial que ça. Maintenant lisez le reste, sales flemmards.

Le tweet de la discorde

Tweet qui faisait écho à ce fil d’autres tweets repris relativement largement par mes followings (à dérouler comme on dit) :

Déjà, dissipons tout malentendu en précisant les points suivants :

  1. Je me suis reconnu dans le tweet original (normal, voir ci-après).
  2. Je suis d’accord avec la conclusion de l’autrice « Et vous verrez quel bonheur c’est, peu à peu, d’arriver à donner au monde des choses pas parfaites.Mais loin d’être les +médiocres du monde. » Se lancer, c’est important.
  3. Certaines personnes sont très gravement touchées par ce phénomène à un niveau pathologique ou quasi pathologique, je leur présente mes excuses si mon tweet a pu les blesser car mon but n’était absolument pas de dire à ces personnes “il suffit de se bouger pour réussir”. (Je ne suis pas naïf à ce point)
  4. Ce tweet a été RT / commenté / liké par des dizaines de personnes de ma timeline, ce qui m’a poussé à réagir (un peu sèchement).

Un gros Barnum

L’objet de ma remarque était simplement de dire qu’en dehors du fond avec lequel j’étais d’accord, le succès du tweet d’origine était majoritairement dû à l’effet Barnum.

À savoir “un biais subjectif induisant toute personne à accepter une vague description de la personnalité comme s’appliquant spécifiquement à elle-même” (merci wikipedia).

Dans le cas qui nous préoccupe, on est en plein dans un des points de la démonstration de Forer :

Vous avez un gros potentiel inutilisé que vous n’avez pas employé à votre avantage.

Mes followers étant habituellement assez grinçants avec les horoscopes et autres articles Medium, je trouvais ça marrant de voir tout le monde perdre son sens critique et reprendre ce tweet comme le dernier des articles brosse à reluire de type “Les personnes qui râlent en entreprise sont les plus efficaces” ou “les personnes qui sont bordéliques sont les plus intelligentes”.

Comme quoi l’effet Barnum, ça marche.

The truth is that you’re a quiet sensitive type but, if I’m prepared to take a chance, I might just get to know the inner you: witty, adventurous, passionate, loving, loyal. Taxi! A little bit crazy, a little bit bad. But hey - don’t us girls just love that?

Ma réaction n’allait pas vraiment plus loin que ça au départ, mais maintenant qu’on est lancé, explorons.

Si j’avais un défaut ? Je dirais perfectionniste.

Je suis donc assez familier de ce problème, et j’ai moi aussi bien sûr été tenté d’expliquer ça par du perfectionnisme. C’est toujours plus valorisant d’expliquer un défaut par une qualité.

Rembobinons. Vous êtes actuellement en train de lire l’un des plus gros procrastinateur de la terre, qui est justement en train d’écrire un billet (en traînant depuis midi) sur un tweet anecdotique au lieu de faire les 1000 autres choses qu’il devrait faire.

@ parle de “[ne produire] à peu près rien, écriture, bijoux, tricots, collages, bricolages, couture et autres projets. Je faisais des listes.”

Vous êtes en train de lire l’homme qui a un Trello rempli ras la gueule de tableaux eux même remplis ras la gueule de listes de trucs super cools à faire un jour.

Ci-dessus, un seul des tableaux de liste de notre héros (qui en a 4 autres du même acabit) (oui c’est Blade Runner en fond).

Le coup du potentiel gâché dans un domaine où l’on aurait pu briller, il me semble également que quasiment tout le monde peut s’en prévaloir. De l’avis de certaines personnes, j’avais du potentiel au tennis, en escrime, en natation, en photographie en biologie, ou d’autres domaines que j’ai oubliés.

Autant de domaines que je n’ai pas poussés et un potentiel dont je n’ai “rien fait”. Je ne vais pas m’étaler, il manquerait la moitié des traits si j’devais t’faire un dessin.

Or je n’ai aucune amertume sur ce potentiel “gâché”, ça ne sert à rien de ressasser “qu’on aurait pu” mais qu’on a pas fait pour cause de “perfectionnisme”, ou parce qu’on était trop pur ou trop droit dans ses bottes. Ne pas développer son potentiel est l’équivalent de ne pas en avoir, c’est un peu facile de dire qu’on attendait que ce soit parfait pour se lancer, ou qu’on avait tout le potentiel mais qu’on a pas persévéré.

Car persévérer, c’est ça qui fait la différence. Il faut aussi relativiser les avis des gens qui trouvent tout ce qu’on fait super génial. À moins de tomber sur moi, les gens vont généralement dire que ce que vous faites est cool quand vous leur montrez, on est pas des bêtes.

Vous connaissez forcément quelqu’un (ou vous même) qui s’est déjà exclamé en voyant un produit à succès “hé mais j’ai eu cette idée il y a 10 ans ! Rhalala je serais riche à l’heure qu’il est !”, qui sous entend “je suis un génie”. Or une idée en elle même ne vaut rien, seule sa formalisation dans un contexte compte.

Tout le monde a des idées, si on ne les réalise pas, elles n’existent pas.

Tout le monde a “le talent pour manger convenablement un homard” comme disait Jacques Brel.

Là ou je veux en venir, c’est qu’à part un pourcentage minoritaire de la population tétanisés pathologiquement par le perfectionnisme, c’est se mentir que de se dire que c’est le perfectionnisme qui nous bloque. Ce qui nous bloque, c’est ce qu’on appelle scientifiquement la grosse flemmouze des familles.

C’est comme tout le monde. On n’est pas un flocon unique et précieux qui développerait son potentiel de dingue si seulement il n’était pas si perfectionniste. Parce qu’on travaille, parce qu’on a des enfants, parce qu’on a autre chose à foutre, parce qu’on veut se poser comme un sac devant une série nulle, parce qu’on veut décompresser, parce qu’on préfère lancer un autre projet plutôt que d’en terminer un. C’est humain, et c’est pas forcément un problème. Il faut juste attribuer les bonnes causes à nos maux.

Vous remarquerez que j’englobe tout ça dans la grosse case “flemme” même si ce sont des causes plus vastes, car pour moi la flemme est un grand ensemble de tout ça.

Dans notre société d’internet et de show off, où il est important de montrer qu’on fait des choses pour exister, c’est la course à qui en fera le plus (ou semblera en faire le plus). Cessez, faites les choses à votre rythme et ça se passera très bien, on ne vous demandera pas de justifications. Ne pensez pas aux autres. Inutile de chercher des causes pseudo-médicales à l’envie de ne rien faire ou de ne pas aboutir la plupart de vos projets.

Et je le répète, je suis le mec qui a passé 3 jours à développer une fonction pour afficher son age automatiquement sur son portfolio de manière propre et intégrée au CMS. On pourrait dire que c’est du perfectionnisme, mais je suis conscient de mon côté que c’est pas vraiment ça qui a ralenti la sortie de mon portfolio. C’est une excuse. Même si c’est formellement du perfectionnisme.

L’imposteur du syndrome

J’en profite pour faire un tour par le sujet du “syndrome de l’imposteur” cuisiné à toutes les sauces.

Servant au départ à parler des personnes qui ne se sentent pas légitimes sur un sujet alors qu’elles en étaient expertes, c’est presque devenu un tic de langage psy (au même titre que “passif-aggressif”) servant à décrire des choses aussi triviales que le trac, la peur, l’appréhension de parler en public ou l’envie pressante de faire pipi (ou caca, je ne juge pas) avant de monter sur scène.

Même avoir un simple doute sur la qualité de son travail (ce qui est très sain) est devenu L E S Y N D R O M E. Vous n’avez pas de syndrome. Vous avez juste une conscience professionnelle ou un besoin de vous auto-évaluer. Et c’est bien. Vous avez les jetons, les foies, le doute mordant. Comme moi, comme votre voisin, comme le camarade qui est passé avant vous.

Encore une fois, sacraliser des choses aussi triviales les rendent presque impossible à surmonter, comme si on était touché par une grave maladie (je fais bien sûr abstraction du petit pourcentage de la population réellement pathologiquement touchée).

Tout le monde a “le syndrome de l’imposteur” (sauf le gars qui va venir me dire que non pas du tout d’ailleurs voilà un lien vers sa conférence), il faut essayer de dédramatiser les choses sinon on n’avance pas.

Encore une fois je parle d’expérience, personne ne se doute aujourd’hui que j’étais d’une timidité maladive, à ne pas pouvoir appeler domino’s pizza pour passer une commande. Pourtant j’ai du prendre sur moi pour en arriver là, et je pense que me dire que c’était “rien de plus que de la trouille nulle” m’a plus aidé que de penser que j’étais atteint d’un mal mystérieux et donc quasi-incurable.

Je sais que les individus varient, et qu’on ne peut pas faire une généralité de ce discours, chacun a ses échappatoires et techniques pour s’en sortir, certaines personnes sont surement plus aidées si elles arrivent à identifier une pathologie, mais je partage mon expérience pour dire que tout le monde n’est peut être pas obligé d’en passer par là.

#CeuxQuiFont

Faites-moi plaisir, même si “Le monde a besoin de vos productions, de vos cadeaux, de vos mots, de vos tricots, de vos articles et de vos lino-gravures.Même imparfaits:)” ne tombez pas non plus dans l’horrible travers des “doers”, de “ceux qui font” à tout prix et inondent internet de leurs projets médiocres ou dangereux, non par le fait qu’ils ne soient pas achevés, mais parce qu’ils partent sur des bases faussées, juste pour produire quelque chose, dans cette course effrénée au “faire” qui permet ensuite de tweeter un dessin du genre “ceux qui critiquent / ceux qui font” en se mettant bien sûr dans la catégorie de ceux qui font.

Notre époque a érigé le fait d’agir en bouclier ultime à la critique. En toute circonstance, il faut faire quelque chose, vite, il faut être du côté de ceux qui s’agitent et si jamais une voix s’élève pour poser une question, émettre une critique, elle se voit systématiquement opposer la question imparable “ok mais toi tu fais quoi ?”

Déclarer sa flemme

Pour conclure, dites-vous que vous pouvez être touché par une perfectionnite aiguë, mais que ça peut aussi peut-être être autre chose. Dans ce cas là, faites les choses à votre rythme, si ça en vaut la peine donnez vous les moyens de boucler les projets qui vous tiennent à cœur, apprenez à en lâcher d’autres, et si vous le faites ne culpabilisez pas.

Et surtout dites-vous que généralement, ces projets jamais parus ne le sont pas à cause d’une grave pathologie ou parce que vous êtes un génie trop perfectionniste. Vous avez juste la flemme, ou pas l’envie, ou pas le temps, et c’est pas si grave.